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Je ne fais que marcher dans la montagne

“ Si je ne prends soin de moi, qui d'autre le fera ? ”

 

Comme un clin d'oeil, presque vingt ans (déjà) après son premier album, le très salué « Ever Everest », le chanteur continue de grimper. Avec sagesse, il expose désormais plus ses doutes que ses certitudes. « Pourquoi le fantasme est toujours plus beau que la réalité ? » se demande-t-il dans le morceau qui ouvre l’album (une compilation de mémos vocaux enregistrés sur son smartphone). Et cette question traverse toutes les chansons en y apportant sinon une réponse, du moins un sentiment. Oui, on perd des illusions, comme on perd ses cheveux, mais c’est une sacrée bonne nouvelle. Avancer pour devenir enfin nous-mêmes, s'approcher du moment où l'on acceptera ce qu’on a, ce qu’on est. Et tâcher d'être de la meilleure façon possible. Question intime et existentielle dont il a fait une chanson universelle « Comment devenir qui je suis ».

 

Du début à la fin, le disque est porté par un souffle. De grandes bouffées d’air pur. Il faut dire qu’il a été en grande partie écrit dans les Hautes-Pyrénées. Fabien Martin y part seul souvent, en famille parfois, pour s’y ressourcer parce que, comme il le chante dans une chanson avec la formidable Jil Caplan, « je ne fais pas que marcher dans les montagnes, je souffle dessus pour mieux les déplacer ».

Et de retour à Paris,  il descend et remonte tous les jours, ça ne s'invente pas, la rue des Pyrénées, pour travailler dans le studio qu’il a monté et où il produit et réalise des albums pour les autres. Cet opus ne pouvait pas s’appeler autrement.

 

“ Les remontées mécaniques viennent de réouvrir...”

 

Ce souffle est partout présent dans sa musique, que ce soit dans les envolées épiques d'un saxophone déchirant (celui du jazzman Raphael Dumont), dans l'overdrive et le lyrisme de la basse de l'Américain Jeff Hallam (longtemps partenaire de Dominique A) qui donne aussi de sa voix sur « I Want A Lover », titre dans lequel Fabien se frotte, et c'est nouveau, à la langue de Kerouac.

 

C'est l'album des parcours. Des chemins que l’on prend, des détours que l’on fait, des blessures qui nous traversent, de ce qui nous constitue et dont les autres ne savent rien. Il consacre un featuring avec l’impeccable Ours (Dans ma boite noire), à ce thème de nos labyrinthes intérieurs. Et un disque entier à cette idée : comment en est-on arrivé là ? Et qu’est-ce qu’il nous en restera ? La route est longue et semée d’embuches, mais c’est la seule que l’on empruntera, sans possibilité de faire demi-tour. Ça pourrait être vertigineux, ici, c’est lumineux.

 

Dans ce nouvel album, Fabien Martin met en avant et en musique le jour-le jour, et sa banalité sublime. Le quotidien seul ne l’intéresse pas. La poésie pour la poésie ne le touche pas. Le mélange des deux le porte et il le traduit en multipliant les ambiances sonores, en nous enveloppant de ses synthétiseurs, en s’autorisant un côté crunchy, ou des détours plus groove, porté par la batterie et les programmations de Franck Amand (aperçu aux côtés de Catherine Ringer ou de Clara Luciani). Bref, en s’aventurant là où il veut.

 

“ J'étais peut-être trop gourmand à la table de Dieu ”

 

Il ne triche plus, ce n’est plus de son âge, ce n’est plus de sa vie. Il cherche à « être honnête avec moi », titre de la dernière chanson où il regarde en face celui qu’il est aujourd’hui, celui qu’il était hier, où il se contredit et où il s’espère, où il se pose une question fondamentale : « Et puis on fait quoi quand on n’arrive plus à aimer ce qu’on a et qu’on n'aura plus jamais ce qu’on aime, on fait quoi, hein, on fait quoi ? ». Avec l’élégance de ne pas apporter de réponse.

 

Dans un mélange de vieux piano (pardon pour la parenthèse, mais l’anecdote vaut le détour : il a trouvé celui de l’album sur Leboncoin, sans savoir qu’il allait racheter celui de son ami d’enfance), et de logiciel pour triturer la voix, de bruits enregistrés sur son chemin, à la ville comme à la campagne, il a obtenu le son qu’il voulait. Un cocktail de tradition et de modernité, d’urgence et de cette volonté de ralentir. Et peut-être que finalement tout se tient là : les chansons étaient écrites en trois mois, il s’est accordé trois ans pour les enregistrer.

 

Après avoir écrit sur une histoire d’amour, Fabien Martin a voulu se pencher sur la vie (qui commence toujours trop tard) et la mort (qui arrive toujours trop tôt), le début et la fin, et sur tout ce qui se passe entre les deux, et qui nous dépasse un peu. Sans trop en faire, sans en rajouter, juste en la regardant autrement. Il n’a pas de mérite, dit-il, à raconter ce qu’il a vu, vécu ou ressenti. Peut-être, mais il a du talent et ça change tout.

 

 

Nicolas Roux, 2023.

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